31 octobre 2005

sur les villes épargnées

Avec son corps elle prend la nuit contre elle et entre ses bras et son corps la nuit n’est plus qu’un ciel déchiré par l’aube et avec son corps elle l’entraîne avec elle au fond de son corps sans bruit tout se passe dans un coup de vent entre elle et son corps la nuit toute entière ne s’attend pas du tout à ce qu’on l’emporte et la nuit va être emportée car son corps à elle est bâtie sur un sexe ouvert sur toute la nuit et personne ne s’attend à ce que le sang coule sous son corps à elle tendue comme un arc et portée sur l’épaule emportée sur l’épaule et en une seconde envolée au poignet les fils de la montre serrée sur le poignet dans le ciel on voit des rainures roses des traces perlées de sang mais elle est déjà si loin qu’en l’appelant on ne fait que ranimer le souffle de son ombre portée sur les villes épargnée par la nuit désormais la nuit emportée est entre elle et son corps et la nuit est emportée dans une autre nuit où elle viendra la déposer de l’autre côté du ciel une autre nuit vierge de caresses purifiée de ses caresses et entre elle et son corps il y a la nuit blanche et recouverte de fatigue sur son corps à elle je vois les traces de la lutte des gouttes de sueurs au coin de ses lèvres et sur ses lèvres creusées rouges un sourire plus désirable que toutes les nuits emportées dans une traînées de poudre rose

29 octobre 2005

de l'autre côté

« …

Panser. Je savais pas si c’était ça le mot, ou un autre. Ne t’en va pas ; ne t’en fais pas. Rien ne bouge on dirait que rien n’est vraiment de l’autre côté passé. Je ne me souviens plus alors. Alors passé, ou dans ce que tu me donnes, il n’y a qu’une blessure, ou une douleur, je ne sais pas la différence, je ne sais pas le mot qui dit la différence entre la plaie et le bruit dans la tête qui la fait exister. Tu me fais cadeau d’un présent. Un chat un peu turbulent. Et passé de l’autre côté de la route, je ne suis plus fatigué, juste de l’autre côté passé, où les magasins sont fermés. Ça se mélange. J’ai essayé de l’empêcher de sauter, le chat ; la fenêtre était ouverte et il l’a vue, il a voulu s’enfuir. Je l’ai pris dans mes bras, et maintenant je voudrais qu’il se réveille. Je lui gratte le dos comme on fait à un enfant, et il ne hurle pas. Je pense à toi, on dit. On pense : je pense à toi, comme on pense au chat qui en a fini avec cette histoire de saut dans le vide. Il n’y a pas de vide dans l’air, des petites particules qui aident à respirer : pas le vide, mais le plein de l’air qui force le chat à tomber, qui l’empêche de voler. J’ai pensé toute la journée, et je n’ai pas réussi à te voir : de l’autre côté de la route il y a des magasins qui ferment toute la journée. Tu es partie si tôt ce matin, le lit a eu tout le temps de refroidir, de faire disparaître le creux où tu dors et tu rêves ; où je n’ai plus droit de m’y glisser. J’ai mal au poignet, c’est d’avoir trop serré le chat : il criait tellement de vouloir sauter dans l’air et tomber, qu’il m’a arraché la peau sous les veines, et sous les os, griffé jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sang, mais de l’eau. Ça l’a noyé : on a pleuré longtemps tous les deux. Moi et le chat. Ne t’en fais pas : il finira par se réveiller, quand il en aura eu marre de jouer au silence, et à la peau molle. Le ventre mou. Je n’arrive pas à me rappeler quand tu disais viens. Maintenant que tu es allée de l’autre côté de l’autre côté, je ne vois plus très bien l’air que j’avale, si c’est le même que le tien, ou si moi aussi je ne fais que tomber. Et ça m’étrangle, tu sais. J’ai besoin de pansements et de médicaments, sinon je vais perdre tout mon sang, et c’est embêtant : faudra penser à le retrouver. Y penser, quand j’aurais le temps, quand je retrouverai le temps. Fatigué comme un chat qui dort. Ou presque. Dormir, rêver. Etc. Si fatigué, que je pourrais tout avouer, et me recouvrir de bandelettes, et dormir. Je pèse des tonnes. Si lourd, ce lit. Ce chat qui dort, et qui n’a pas voulu se réveiller : désormais, c’est trop tard. Les particules qui tombent du ciel et celles qui remontent sont mes ennemies : elles ne me trahiront pas pour le sol. Elles ne se laisseront pas étrangler par mes doigts maigres et sales. J’ai faim, et pourtant je suis si fatigué. Je n’arriverai pas à dormir, je chercherai la phrase qui m’a fait sourire. Le mot. Passé présent où je partirai seul et où tu m’as laissé, c’est si banal, on dirait la bonne femme qui n’a plus de placard assez grand : ciel mon chat est mort. J’y penserai. Je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot.

»

28 octobre 2005

Parfois il y a un peu de vent


Je suis depuis toujours attiré par ce lieu : des murs si hauts, lumières rares, et puis les trottoirs larges, sales, silencieux ; des rues désertes cernées par des portes plus fermées là que partout ailleurs. Quand je me retrouve ici, il me semble approcher une rive sans mer, avec au loin, le bruit de la lame, sans fond et sans épaisseur. Je cesse de penser. Parfois, il y a un peu de vent qui creuse le froid entre les murs : des volets claquent, des feuilles par terre roulent, s’accrochent aux égouts, des sifflements sourds traversent et s’estompent, et puis ça s’arrête. Ça reprendra peut-être plus tard. Lorsque je vous ai vu chercher sur les façades un numéro effacé, une porte ouverte sur un rendez-vous, j’ai voulu m’approcher, vous aider, dans la mesure du possible. Vous n’avez rien remarqué d’abord : il vous a fallu traversé la rue de long en large pour comprendre que vous ne trouverez plus : c’est trop tard. La marée vous a pris et ramené ici. Sans fond, sans épaisseur dans la vase de cette rue. Racler le sol, vous ne trouverez que du sable, et la mer encore en dessous. Vous me regardez avec des yeux amusés : tout à l’heure vous rirez moins. Si vous n’êtes pas encore partis, c’est que je ne vous fais pas peur : c’est rare. D’ordinaire, dès le premier mot, j’entends les pas claquer, les dos s’éloignent : je parle déjà au ciel. Je n’habite pas ici : j’y vis. J’essaie encore de partir. Il y a une dizaine d’années, je basculais de l’autre côté de la ville, sans efforts. Maintenant, j’ai les deux pieds rivés là. Beaucoup de choses ont changé. Vous sentez le ridicule de cette phrase, « beaucoup de choses ont changé ». Rien, ou pas grand-chose. Les trottoirs sont un peu plus sales, et accueillants, et les murs plus déserts : moins vides aussi. Au fond, on promène les mêmes cadavres sur les mêmes villes. Prétendre que beaucoup de choses on changé n’a aucun sens, et l’inverse ne veut rien dire non plus. La vérité, c’est que ça écume. Au bout d’un certain temps, la mousse perd de sa blancheur, il y a des trous qui apparaissent à la surface : on voit le sable dessous, sur lequel on marche. On voudrait plonger les mains pour le ramasser, agiter le fond : alors, ça écume encore ; il faudra attendre.

Vous voulez bien attendre un peu avec moi. Ce soir, ce ne sera pas long.

27 octobre 2005

la résistance des corps


C’est visible – la résistance des corps. Ce n’est pas impossible de les enfoncer.

Les visages n’ont pas toujours affiché ces masques figés sous les conventions – débordant d’intentions prévisibles. Mais aujourd’hui, ce soir, je ne vois plus que cela. Le dégoût des corps quand je ne vois que des poses, des gestes – et jamais des mouvements ; et jamais des secrets. Il suffirait de fouiller sous les sourires, d’arracher les langues – de creuser dans le corps des sexes plus profonds que leur ignorance.

Ce n'est pas impossible

25 octobre 2005

longtemps

"Longtemps nous avons cherché le souvenir du désir emmurés de peur et de violence cachée ; nous avons refusé les promesses des heures dans la nuit à venir où le silence lentement est passé... " et je veille : je ne fais que trembler - et la veille est plus lente encore que tout ce qui m'entoure ; je reste sur le seuil à attendre de nouveau l’averse blessée, attendre sans fermer l’oeil le souvenir éclaté et qui ne viendra pas - et que j'attendrai encore la nuit prochaine - le lendemain le soleil aura tout dissipé

Dans l’air du temps j’avais gravé - gravé toute la nuit - quelques mots du temps sur des années écoulées - des secondes étalées et quelques courbes à la pierre du versant

- Longtemps j’ai cherché le souvenir du désir emmuré de peur et de violence cachée, et j’ai tant refusé les promesses des heures dans la nuit à venir où le silence est passé - tant déchiré de voiles et de nuits blanches comme l'aube, que je ne dormirais plus, plus jamais.

24 octobre 2005

aller voir ailleurs


Nous savons que le jour est grand ouvert derrière nous et qu’il a laissé passé la nuit entre ses côtes mais quand nous levons la tête c’est un ciel sans soleil qui nous dévisage et s’écroule sur la terre mourant de faim et lançant des cris en cascade sur toute la surface et en heurtant nos oreilles ces cris dégringolent jusque sur le sol et sur les pierres où nous sommes allongés car nous ne sommes pas les veilleurs de nuit nous sommes des animaux vivant au rythme des saisons et des lumières qui traversent là haut l’espace mais ici nous avons faim et soif et nous ouvrons la bouche comme pour crier parce que nous ne connaissons pas d’autres langages que la demande et l’espoir. L’histoire aussi est passée et nous l’avons regardée de loin nos parents nous ont dit qu’un jour ils l’avaient vue montée par des hommes en armes mais nous ne les avons pas crus.

Aujourd’hui c’est l’histoire qui dans les manuels scrute nos moindres faits et gestes tant et si bien que lorsque par miracle un évènement se fait ou défait un continent il s’inscrit immédiatement dans la liste des combats perdus depuis toujours perdus. Il a fallu beaucoup de renoncement pour en arriver là parvenir à ne plus vivre que dans cette honte de nous-mêmes et dans un recul insensé où choisir un camp tient lieu encore et toujours de renoncement où choisir un camp est au final une retraite concédée sur l’ennemi. Alors le choix a été vite fait : ne restait plus qu’à déguerpir pour de bon. Les guerres ont depuis le jour de notre naissance déserté la terre : elles ne s’occupent que des terrains par avance conquis et soumis. Quand une guerre se déclare – les morts de part et d’autre sont déjà enterrés ; ne reste que la question de l'argent et des photos. Alors nous avons décidé de ne pas penser à l’histoire. Mais à l’effort qu’il faudrait fournir pour nous la faire oublier ; c’est pourquoi nous mettons tant d’acharnement à l’apprendre par cœur et à la considérer comme une connaissance de plus déposée sur les rives du temps comme toutes ces statues qui ne comptent pas au moment du départ et des désirs – quand il faut choisir, définitivement.

C’est pourquoi nous quittons la ville. Nous partons.

Voir ailleurs si nous aussi nous ne sommes pas.

Pour le moment nous dormons. Sous le ciel noir sans soleil et sous la pluie qui n’a pas tardé à s’effondrer comme le sommeil sur nos corps déjà trempé d’avoir marché et de n’être pas encore sorti de la ville la tentation d’en finir. Mais nous n’aurons pas cette force là de se jeter contre les murs. Pourquoi l’ombre est si grande sous nos pas quand la nuit étale une lune dérisoire au dessus des toits et que pourtant nous sommes immobiles allongés par terre et dormant ? Notre tête est vide car nous avons vécu toutes les vies du passé et notre bouche est sèche parce que nous ne savons pas si ces vies nous ont conçu et produit ou si c’est nous qui les avons rêvés dans notre folie. Nos lèvres sont découpées par la soif et dans nos mains vous pouvez voir des lignes de destin tranchées par des centaines de lames. Des lignes indéchiffrables dont nous nous faisons forts de recopier consciencieusement chaque précepte et chaque leçon. Nous bâtissons des tas de livres posés les uns à côtés des autres pour remplir l’espace laissée par ce terrain vague dans nos têtes et dans nos esprits. Un terrain vague à perte de vue. Et nous dormons sans haine et sans présent mais avec juste dans nos poches cette histoire qui appartient à des hommes devenus nos juges

- avec ce passé dont nous héritons comme une cicatrice sur les poumons.

Et avec un avenir posé comme un catafalque oublié de l’autre côté de la ville.


23 octobre 2005

je ne crois pas

Je ne crois pas aux lendemains qui effacent tout d’un revers de main et je ne crois pas non plus aux traces éternellement déposées partout dans les chairs dans la terre et dans les villes – je ne crois pas à ceux qui me disent que rien ne s’oublie que tout se transforme en empreintes nécessairement creusées et fouillant les plaies ravivant les instants perdues tirant des leçons et des bilans ils marchent dans la nuit et éclairent de leur lanterne des chemins parcourus et je ne crois pas non plus au jour le jour qui ne connaît ni repos ni retour et ni cartes sur lesquelles tracer des direction et ni terre à arpenter dans un sens et dans l’autre simultanément – je ne crois pas à la foi des mourants, à l’abandon des danseuses, à la grâce des hasards – je ne crois pas non plus aux vérités de papier ivre de mots dessinés sur des pages creusant un peu plus le fossé qui sépare la vie de sa croyance – non je ne crois pas.

22 octobre 2005

l'absent

J’ai menti aux bruits qui m’annonçaient un peu partout absent et j’ai menti à ceux qui m’appelaient j’ai menti parce que j’avais froid et que j’aspirais à un peu plus de sommeil encore chauffé par le rêve et le déni et j’ai menti encore plus aux rêves qui pensaient que j’allais leur rendre un peu de la vie qu’il m’avait donné – j’ai menti à ceux que le travail attend : moi qui dans la veille n’attend personne d’autre que l’attente avachie en moi et j’ai menti aux troubles de la foule que je voyais grimaçant des ordures aux plus lâches d’entre nous – et j’en faisais partie – moi dont les combats à mener sont trop minces pour être partagés – et trop importants pour être abandonnées à d’autres et j’ai menti à ceux qui attendaient une lettre quand ce sont des mots entiers que j’envoyais sans attendre de réponse – excluant toute réponse possible : oui j’ai menti souvent et je ne peux pas faire autrement pour survivre à ce que je vois – tout ce qu’exige partout la violence et la haine ; l’incompréhension de ne pas faire partie de ce tout semblant si haïssable et mort : et vomissant à jamais la gloire d’en vivre ; tous.

20 octobre 2005

terrain vague





Vague, vagues à perte de vue.



Un terrain vague un lieu interminable sans horizon une brume dissipée est retombée sur le sol a déposé un peu de fumée et de poussières partout bien au-delà de ce que les yeux peuvent saisir un nuage à la surface de la terre s’est posé sur l’aube et je me suis réveillé là le visage appuyé sur cette terre en friche une terre où je ne me souvenais pas m’être allongé et endormi une terre malade oui paralysée et vacillante et sur le bord de tomber au milieu de laquelle je me suis réveillé là retrouvé là et je n’avais pas dormi ou du moins pas rêvé à part quelques images qui dans mes souvenirs traversent des salles blanches et vides des carrelages peut être des personnes droites et silencieuses mais ici je ne vois personne terrain vague de gel et de méduses la plaine après la bataille une nuit de Paris est censé remplacer la brume mais à chaque extrémité de la terre une catastrophe calme et apaisée sans coup de théâtre sans crise se prépare juste un épilogue sans rideau on assiste à la fin c’est calme et silencieux paralysé c’est sur la point de tomber mais enfin ça ne finira jamais
c’est enfoncé dans la vie depuis tellement longtemps et les années n’en finissent pas on ne sait comment ça se tient mais ça ne tombe pas encore le monde le soleil le jour précipités dans le mouvement on se réveille et le corps n’est plus personne vraiment personne

19 octobre 2005

et nous n'avons pas peur

Nous ne sommes que des peaux cherchant dans l’ombre d’autres peaux, encore et encore. C’est cela. Quand l’histoire s’est finie, on nous a pris notre langue aussi, et les mots qui nous donnaient un peu de poids et d’épaisseur sont restés dans notre gorge ; il ne reste plus qu’à cracher par terre, sans répit : les mots qui avaient fini par rendre réelles les choses ne sont plus que des taches par terre ; au fond de notre bouche tombant s’écroulant par terre, comme le soleil. Nous les regardons, et nous n’avons pas peur. Nous les prenons pour des fantômes, nous construisons autour d’eux des châteaux, des luminaires. Il n’y a rien d’autre. Chercher ce qui ne se trouve pas ici, mais qui nous en éloignera. Il n’y a rien vraiment d’autre, non rien d’autre à faire.

18 octobre 2005

dans la nuit sans histoire

Nous sommes dans la nuit sans histoire, sans bruit ; une nuit immense écartant ses doigts dans toutes les directions, et doucement nous glissons vers la mer, nous allons portés par des pas qui ne connaissent ni fatigue, ni arrivée. On approche de la côte, et nous la voyons s’éloigner. On nous avait promis autre chose pourtant : la route allait s’arrêter, la mer allait être proche, où se noyer, s’épuiser au fond des lacs infinies de l’histoire. Mais ce n’est pas arrivé. Et sans savoir pourquoi, nous continuons. C’est parce que nous ne savons pas pourquoi, que toujours inlassables, nos pas en avant portent d’autres pas, promesses d’autres pas encore jusqu’à celui qui ultimement posé, jusqu’à la fatigue d’après la fatigue, nous laissera sans force, et sans pensée. Je ne sais du monde que ces deux vérités qui au fond de moi se brisent l’une sur l’autre, et se confondent – et me rendent vivant, jeté de l’autre côté des morts comme un sac, comme une pierre lancée d’un geste de l’autre côté, au dessus d’une clôture haute et sans horizon : il n’y a rien ; et – il nous faut le poursuivre. Le poursuivre au fond de cette nuit épaisse et sale au milieu de la nuit plus épaisse et plus sale encore où nos parents se sont arrêtés, épuisés par tout ce rien qu’ils ont passablement modelé et couvé de leurs regards.

Prolonger le néant d'un geste souple et dérisoire, poursuivre un rien, jusqu'au bout de la jetée, un rien d’où rien ne bouge, et vers où rien ne va que des pas boitant et entêtant, continuant tout de même, cherchant dans la nuit de quoi ce rien est fait ; ce qu’il défait au jour le jour dans le vague bruissement des mers et des nuits.

17 octobre 2005

des voix me disent

Et dans l’ombre j’entends des voix qui me disent - pars et ne reviens qu’en ombre j’entends ne sois plus qu’une tache sur le sol que suivent des pas et qu’importe la proie que tu traqueras inlassable sois nôtre deviens l’ombre sur le sol qui se répand jusque sous les égouts et les ciels de bleu sans fard - pars ; ou ferme les yeux et entends nos voix dans l’ombre entend nos voix qui te disent de partir car dans les villes l’ombre portée sur les ombres dans l’air ne fait rien d’autre qu’attendre le prochain nuage ou la prochaine ombre où disparaître où se confondre et rejoindre dans l’ombre les centaines d’ombres qui sous les égouts attendent la nuit pour s’échapper s'évanouir

16 octobre 2005

il y aurait quelque chose à commencer

Marche ; quand la nuit s’éternise et prend tout l’espace devant soi, on voudrait s’arrêter et se coucher le long de son corps, ralentir son souffle – peu à peu oublier jusqu’à son nom, et dormir. Souvent c’est cette impression qui en moi la plus tenace tend à recouvrir les autres. Ou alors si je ne m’endors pas sur mon petit confort si peu chèrement gagné, je cède un peu aux autres, à la langue qu’ils parlent dans ces moments où je renonce, et je les écoute parler, parler. Il me faut un sursaut, comme un coup dans le ventre pour tout faire cesser. Un grand silence enfin s’installe, et je suis de nouveau seul ; je peux continuer à marcher : en moi, la voix des autres s’est tue. J’essaie alors de passer de l’autre côté de cette nuit ; trouver un endroit dans l’espace où il y aurait quelque chose à commencer. Il y a toujours de la place pour suivre dans le noir une ombre plus claire à transpercer la nuit. Le tout est d’être à l’affût ; aux aguets. Se tenir prêt. Derrière chaque virage, une route s’ouvre, une autre encore ; des terres où la nuit continue de se déposer – enveloppe l’air et le silence, et l’absorbe ; je n’entends plus rien que la haine des autres en moi, et je recommence à respirer. A voir, et à apprendre du monde ce qu’il va décider de moi.

15 octobre 2005

la Nuit les ombres

Il n’y a plus sur terre que moi, avec tous les autres. La nuit paraît plus longue. Et pour un moment encore elle va continuer. Encore de se répandre dans mon ventre, elle va continuer encore, et c’est pour mieux la cracher, la mêler avec d’autres choses que je n’ai pas réussies sans elle à poser devant moi. Il me suffit à ciel ouvert d’attendre, et rien ne se passe. Et tout a changé. Je suis de nouveau sur terre seul à m’arrêter sur les bords ; on dit que sur la terre, il n’y a plus que moi, et que traînent dans l’air, des restes de ma voix. Et dans la nuit de mes crachats, je pressens l’avènement d’une forme nouvelle. La nuit est si longue, qu’on ne voit plus ses pieds sous sa robe si blanche, qui descend jusqu’au fleuve, jusqu’à septembre, et plus loin, demain encore, et encore et c’est sans fin, on ne la voit pas jusqu’à l’aurore, la nuit qui disparaît sous elle, sous la nuit qu’elle recouvre et qu’elle cache, et qu’elle montre tour à tour aux veilleurs et aux morts. Son allure avachie me va si bien pourtant. Je la porte sur moi, au poignet ou partout ailleurs, constamment, indéfiniment. Une allure dont j’ai fait la seconde empreinte de mes doigts, la couture de mes manteaux, et le fard de mon teint. Le goût de ma langue au fond de ma bouche, comme une liqueur inconnue sur terre il n’y a que moi, et je ne reconnais pas mon ombre. Je cours et plus je vais, plus je sens qu’elle me suit, cette ombre sous mes pas, cette ombre de papier et de cendres mouvantes, et s’approche, plus je sais que bientôt elle me dépassera. Et devant moi m’attend, l’ombre de mes vingt ans de poussière, de ciel ouvert sur toutes les nuits perdues, toutes les crevasses combien vainement évitées.