sur les villes épargnées

Après les Nuits, Blog hyptnotique du temps qui ne passe pas, du temps qui traverse encore et encore pour ne pas finir d'arriver - qui n'arrive pas à finir, encore
Panser. Je savais pas si c’était ça le mot, ou un autre. Ne t’en va pas ; ne t’en fais pas. Rien ne bouge on dirait que rien n’est vraiment de l’autre côté passé. Je ne me souviens plus alors. Alors passé, ou dans ce que tu me donnes, il n’y a qu’une blessure, ou une douleur, je ne sais pas la différence, je ne sais pas le mot qui dit la différence entre la plaie et le bruit dans la tête qui la fait exister. Tu me fais cadeau d’un présent. Un chat un peu turbulent. Et passé de l’autre côté de la route, je ne suis plus fatigué, juste de l’autre côté passé, où les magasins sont fermés. Ça se mélange. J’ai essayé de l’empêcher de sauter, le chat ; la fenêtre était ouverte et il l’a vue, il a voulu s’enfuir. Je l’ai pris dans mes bras, et maintenant je voudrais qu’il se réveille. Je lui gratte le dos comme on fait à un enfant, et il ne hurle pas. Je pense à toi, on dit. On pense : je pense à toi, comme on pense au chat qui en a fini avec cette histoire de saut dans le vide. Il n’y a pas de vide dans l’air, des petites particules qui aident à respirer : pas le vide, mais le plein de l’air qui force le chat à tomber, qui l’empêche de voler. J’ai pensé toute la journée, et je n’ai pas réussi à te voir : de l’autre côté de la route il y a des magasins qui ferment toute la journée. Tu es partie si tôt ce matin, le lit a eu tout le temps de refroidir, de faire disparaître le creux où tu dors et tu rêves ; où je n’ai plus droit de m’y glisser. J’ai mal au poignet, c’est d’avoir trop serré le chat : il criait tellement de vouloir sauter dans l’air et tomber, qu’il m’a arraché la peau sous les veines, et sous les os, griffé jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sang, mais de l’eau. Ça l’a noyé : on a pleuré longtemps tous les deux. Moi et le chat. Ne t’en fais pas : il finira par se réveiller, quand il en aura eu marre de jouer au silence, et à la peau molle. Le ventre mou. Je n’arrive pas à me rappeler quand tu disais viens. Maintenant que tu es allée de l’autre côté de l’autre côté, je ne vois plus très bien l’air que j’avale, si c’est le même que le tien, ou si moi aussi je ne fais que tomber. Et ça m’étrangle, tu sais. J’ai besoin de pansements et de médicaments, sinon je vais perdre tout mon sang, et c’est embêtant : faudra penser à le retrouver. Y penser, quand j’aurais le temps, quand je retrouverai le temps. Fatigué comme un chat qui dort. Ou presque. Dormir, rêver. Etc. Si fatigué, que je pourrais tout avouer, et me recouvrir de bandelettes, et dormir. Je pèse des tonnes. Si lourd, ce lit. Ce chat qui dort, et qui n’a pas voulu se réveiller : désormais, c’est trop tard. Les particules qui tombent du ciel et celles qui remontent sont mes ennemies : elles ne me trahiront pas pour le sol. Elles ne se laisseront pas étrangler par mes doigts maigres et sales. J’ai faim, et pourtant je suis si fatigué. Je n’arriverai pas à dormir, je chercherai la phrase qui m’a fait sourire. Le mot. Passé présent où je partirai seul et où tu m’as laissé, c’est si banal, on dirait la bonne femme qui n’a plus de placard assez grand : ciel mon chat est mort. J’y penserai. Je ne suis pas sûr que ce soit le bon mot.
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Vous voulez bien attendre un peu avec moi. Ce soir, ce ne sera pas long.
Les visages n’ont pas toujours affiché ces masques figés sous les conventions – débordant d’intentions prévisibles. Mais aujourd’hui, ce soir, je ne vois plus que cela. Le dégoût des corps quand je ne vois que des poses, des gestes – et jamais des mouvements ; et jamais des secrets. Il suffirait de fouiller sous les sourires, d’arracher les langues – de creuser dans le corps des sexes plus profonds que leur ignorance.Ce n'est pas impossible
"Longtemps nous avons cherché le souvenir
Dans l’air du temps j’avais gravé - gravé toute la nuit - quelques mots du temps sur des années écoulées - des secondes étalées et quelques courbes à la pierre du versant
- Longtemps j’ai cherché le souvenir du désir emmuré de peur et de violence cachée, et j’ai tant refusé les promesses des heures dans la nuit à venir où le silence est passé - tant déchiré de voiles et de nuits blanches comme l'aube, que je ne dormirais plus, plus jamais.
Aujourd’hui c’est l’histoire qui dans les manuels scrute nos moindres faits et gestes tant et si bien que lorsque par miracle un évènement se fait ou défait un continent il s’inscrit immédiatement dans la liste des combats perdus depuis toujours perdus. Il a fallu beaucoup de renoncement pour en arriver là parvenir à ne plus vivre que dans cette honte de nous-mêmes et dans un recul insensé où choisir un camp tient lieu encore et toujours de renoncement où choisir un camp est au final une retraite concédée sur l’ennemi. Alors le choix a été vite fait : ne restait plus qu’à déguerpir pour de bon. Les guerres ont depuis le jour de notre naissance déserté la terre : elles ne s’occupent que des terrains par avance conquis et soumis. Quand une guerre se déclare – les morts de part et d’autre sont déjà enterrés ; ne reste que la question de l'argent et des photos. Alors nous avons décidé de ne pas penser à l’histoire. Mais à l’effort qu’il faudrait fournir pour nous la faire oublier ; c’est pourquoi nous mettons tant d’acharnement à l’apprendre par cœur et à la considérer comme une connaissance de plus déposée sur les rives du temps comme toutes ces statues qui ne comptent pas au moment du départ et des désirs – quand il faut choisir, définitivement.
Pour le moment nous dormons. Sous le ciel noir sans soleil et sous la pluie qui n’a pas tardé à s’effondrer comme le sommeil sur nos corps déjà trempé d’avoir marché et de n’être pas encore sorti de la ville la tentation d’en finir. Mais nous n’aurons pas cette force là de se jeter contre les murs. Pourquoi l’ombre est si grande sous nos pas quand la nuit étale une lune dérisoire au dessus des toits et que pourtant nous sommes immobiles allongés par terre et dormant ? Notre tête est vide car nous avons vécu toutes les vies du passé et notre bouche est sèche parce que nous ne savons pas si ces vies nous ont conçu et produit ou si c’est nous qui les avons rêvés dans notre folie. Nos lèvres sont découpées par la soif et dans nos mains vous pouvez voir des lignes de destin tranchées par des centaines de lames. Des lignes indéchiffrables dont nous nous faisons forts de recopier consciencieusement chaque précepte et chaque leçon. Nous bâtissons des tas de livres posés les uns à côtés des autres pour remplir l’espace laissée par ce terrain vague dans nos têtes et dans nos esprits. Un terrain vague à perte de vue. Et nous dormons sans haine et sans présent mais avec juste dans nos poches cette histoire qui appartient à des hommes devenus nos juges
- avec ce passé dont nous héritons comme une cicatrice sur les poumons.
Un terrain vague un lieu interminable sans horizon une brume dissipée est retombée sur le sol a déposé un peu de fumée et de poussières partout bien au-delà de ce que les yeux peuvent saisir un nuage à la surface de la terre s’est posé sur l’aube et je me suis réveillé là le visage appuyé sur cette terre en friche une terre où je ne me souvenais pas m’être allongé et endormi une terre malade oui paralysée et vacillante et sur le bord de tomber au milieu de laquelle je me suis réveillé là retrouvé là et je n’avais pas dormi ou du moins pas rêvé à part quelques images qui dans mes souvenirs traversent des salles blanches et vides des carrelages peut être des personnes droites et silencieuses mais ici je ne vois personne terrain vague de gel et de méduses la plaine après la bataille une nuit de Paris est censé remplacer la brume mais à chaque extrémité de la terre une catastrophe calme et apaisée sans coup de théâtre sans crise se prépare juste un épilogue sans rideau on assiste à la fin c’est calme et silencieux paralysé c’est sur la point de tomber mais enfin ça ne finira jamais